Chercheur en sciences cognitives, Thibaud Griessinger est le fondateur d’ACTE Lab, un laboratoire indépendant qui explore les facteurs cognitifs influençant les comportements individuels et collectifs face à la transition environnementale.
Qu’est-ce qui fait qu’un consommateur va choisir un produit ou service « vert » plus qu’un autre ?
Cela va dépendre du type de produit et de ce que l’on appelle “vert”. On trouve beaucoup d’études qui s’intéressent au rôle des labels environnementaux – qui informent par exemple sur la consommation énergétique des appareils ou sur l’origine des produits alimentaires – dans la décision d’achat des consommateurs.
Les leçons sont intéressantes et parfois contre-intuitives. On observe par exemple que si ces labels peuvent augmenter la considération de ce critère lors de la décision d’achat, le prix reste le facteur déterminant. Dans le domaine de la consommation, le raisonnement est avant tout économique.
Par ailleurs, il semble que le niveau de conscience environnementale soit finalement assez marginal dans la prise en compte de ce type d’information. C’est surtout l’attitude envers le label concerné qui est déterminante, la confiance qui lui est accordée, ce à quoi il renvoie, etc. En fait le rôle d’un label est de faciliter la compréhension de l’information, mais pas directement d’influencer l’achat. Typiquement lorsqu’un nouveau label est mis en place, peu d’importance lui est accordée car les consommateurs sont attentifs aux informations avec lesquelles ils sont familiers. Ils savent comment les intégrer dans leur choix. D’autant plus lorsqu’ils n’ont pas le temps et lorsqu’ils sont déjà saturé d’information de toutes sortes.
Le label, en simplifiant l’information, peut faciliter sa prise en compte mais cela ne suffit pas. Entre avoir accès à l’information, la prendre en compte, la pondérer par rapport aux autres informations pertinentes et changer ses habitudes de consommation, il y a un monde. Un monde que les sciences cognitives peuvent aider à décrypter.
Comment les directeurs marketing et les directions de l’expérience client peuvent-ils « mieux » aiguiller le consommateur ?
En communiquant avec parcimonie. Le qualificatif “vert” est tellement dévoyé, et renvoie à des critères de niveau d’ambition environnementale si différents, que l’information a perdu de sa signification et de sa pertinence, et donc de sa force. Dans un monde où tout se verdit, l’enjeu est désormais de tracer des lignes claires pour rendre visibles les nuances.
Car l’enjeu est avant tout celui de cohérence. Plus l’ensemble de l’entreprise sera sérieuse et ambitieuse dans son engagement et plus le respect de l’environnement (au sens large) pourra être placé au centre de la marque et plus cela sera évident que l’image renvoyée est de confiance. Il y aura moins besoin de communiquer spécifiquement dessus et de risquer de tomber dans l’écueil du greenwashing. D’ailleurs, les consommateurs semblent plus sensibles à l’éthique de manière générale qu’au respect de l’environnement en particulier. Donc si l’organisation se transforme à la hauteur des enjeux sur la dimension environnementale, cela doit aller de pair avec une attention portée à l’origine des produits, aux conditions de travail, etc. Ce n’est donc pas au niveau des directions communication qu’il faut opérer les changements que les consommateurs attendent.
Il y a, en effet, un besoin criant d’innovation environnementale et sociale pour renouveler l’offre et le rapport à la consommation. Plus il y aura de communication sur l’environnement, moins l’offre suivra et plus il y aura une défiance (on parle de réactance) des consommateurs. Cela aura un impact important sur la relation client. Quand on voit le succès grandissant de la vente directe, ou des success stories de marques comme “c’est qui le patron ?”, on voit dans quelle direction il faut désormais s’engager.
En tant que spécialiste de la cognition humaine, tu travailles également sur la transformation des organisations : comment les managers peuvent-ils orienter des organisations vers la transition écologique ?
Les managers ont bien évidemment un rôle à jouer, mais c’est plus haut dans l’organisation que le changement doit être réellement porté. Autrement, on se retrouvera à avoir des managers pris en étau, et soumis en permanence à des injonctions paradoxales paralysantes et sources de souffrance.
Dans l’idéal, c’est l’ensemble de l’organisation qui doit, à l’initiative de la direction, s’emparer de la problématique. D’abord pour partager un même constat d’urgence, déjouer les idées reçues, et susciter la volonté d’engagement dans une (nouvelle) direction commune. Pas uniquement pour répondre à des enjeux environnementaux globaux, mais aussi pour permettre à l’organisation d’anticiper les changements à venir, et gagner en visibilité et réactivité – atténuation et adaptation allant de paire.
Cependant une adhésion de principe ne garantit en aucun cas l’adhésion aux actions nécessaires à sa réalisation, et bien souvent les désaccords ne se révèlent qu’au moment de la mise en place. C’est pourquoi, il semble nécessaire d’inclure chaque service et à chaque échelon. Ils sont en effet porteurs d’une expérience et d’un point de vue au sein de l’organisation, mais aussi d’inquiétudes d’ambition et de propositions, dans la réflexion et le développement de plans d’actions pragmatiques et calibrés.
C’est d’ailleurs pour cela que la dimension stratégique est déterminante. Il est essentiel de planifier de manière cohérente ces transformations mais aussi de favoriser l’émergence des conditions propices à sa réussite. A chacun de ces niveaux de transformation, sensibiliser, co-construire et orchestrer, le facteur humain occupe une place déterminante.
Tu as créé l’Acte Lab : quelles sont les compétences réunies ? Pourquoi ? Peux-tu citer quelques projets ?
Nous sommes un collectif de chercheur.e.s en sciences cognitives et sociales qui s’est donné pour mission de mettre ces connaissances au service de la redirection écologique. Notre approche peut être résumée par « comprendre pour mieux agir, et agir pour mieux comprendre ».
Ainsi nous accompagnons les acteurs de la transition dans le développement de plans d’actions plus adaptés (et plus justes). Nous développons des projets de recherche-action pour les aider à mieux comprendre les dynamiques de changement à l’échelle d’un territoire. Enfin, nous intervenons de plus en plus en amont pour intégrer la dimension humaine et sociale dans la réflexion stratégique des organisations.
Par ailleurs, nous commençons à piloter sur le mode think tank des groupes de travail sur l’apport des sciences cognitives et sociales aux problématiques de transition écologique, dans le but de ne pas seulement outiller les acteurs du changement, mais aussi d’alimenter leur réflexion et leur ouvrir de nouvelles perspectives d’action.
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