Zeus & Gaïa a rencontré Greg de Temmerman, directeur général de Zenon Research, un think tank qui réalise des études sur le futur à long terme dans les domaines de l’énergie, du spatial et de l’intelligence artificielle. Il est également chercheur associé de Mines Paris-Tech.

Quel est le rôle des scientifiques dans la transition environnementale des entreprises?


Rappelons tout d’abord que nous sommes face à un défi énorme : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, tout en diminuant fortement notre pression sur les écosystèmes. Les changements nécessaires sont majeurs : notre infrastructure énergétique repose à 80% sur la combustion d’énergies fossiles.

Quelques chiffres sur la taille de notre empreinte écologique (2019) :

  • 100 milliards de tonnes de matériaux et minerais utilisés par l’économie
  • 8 milliards de tonnes de charbon produites
  • 11 milliards de tonnes de marchandise transportées par la mer

Les entreprises sont au cœur du système économique mais aussi en première ligne dans la transition par :

  • Les valeurs qu’elles véhiculent
  • Le système qu’elles représentent
  • La remise en cause de leur modèle économique les incitant à l’innovation et à la transformation

Les scientifiques doivent être acteurs de la transition. Il faut souligner le rôle qu’ils ont déjà joué auparavant par :

  • L’identification de la responsabilité des activités humaines dans le changement climatique en cours, responsabilité qui fait désormais consensus;
  • Une meilleure compréhension des effets des émissions à gaz à effet de serre et particules;
  • Une prise de conscience plus affinée du système climatique et des effets de rétroaction.

Au niveau des entreprises, on peut évidemment penser à l’investissement en Recherche & Développement pour développer ou améliorer des procédés permettant de diminuer les émissions, mais également des études spécifiques pour évaluer l’efficacité de différentes options.

On peut penser par exemple aux débats sur les impacts environnementaux des véhicules thermiques, hybrides et électriques et le besoin d’avoir un périmètre et des hypothèses de calculs bien explicités au risque d’obtenir des résultats très différents.

Des codes ou des méthodes de calculs développés dans le cadre de travaux universitaires peuvent également s’appliquer sur des cas spécifiques en entreprises. C’est d’autant plus important, pour des petites entreprises qui n’ont pas forcément les capacités d’avoir en interne les moyens nécessaires mais souhaitent adapter leur modèle aux enjeux environnementaux.

Comment cela peut-il s’organiser concrètement ? 


On trouve une pluralité de formats possibles, tels que :

  • Des partenariats sur des projets de recherche
  • De la sous-traitance en R&D ou en conseil pour des questions plus ciblées

Il ne s’agit certes pas de concurrencer des cabinets de conseil spécialisés, mais des problématiques spécifiques peuvent bénéficier du soutien ponctuel d’un expert dans un domaine particulier. Il sera très au fait du sujet ou aura déjà développé des outils, des méthodes ou des protocoles pertinents.

Avez-vous des initiatives inspirantes de collaboration entre scientifiques et entreprises au service de la transition environnementale ? 


On peut notamment citer les travaux sur le développement d’une comptabilité dite socio-environnementale. Celle-ci a pour but de prendre en compte les externalités sociales et environnementales dans les bilans des entreprises. Ces travaux sont menés par une chaire dédiée en collaboration avec différentes entreprises. Ils revêtent un caractère crucial car disposer d’indicateurs fiables est un prérequis essentiel pour diminuer son impact environnemental. Pour les émissions carbonées, les méthodes d’évaluation sont relativement matures. Cependant, c’est loin d’être le cas pour des dommages aux écosystèmes ou de pollution induite.

Vous avez passé plus de 10 ans à l’étranger. En quoi la collaboration entre la recherche et le secteur privé est différente de la situation française?  


Tout d’abord, il existe des collaborations publics-privés de différentes formes (recherche sous contrat, recherche en commun…).

Elles existent dans tous les pays. Malgré les incitations, ces partenariats publics-privés restent moins développés en France que dans des pays comme les Etats-Unis, l’Angleterre ou les Pays-Bas. Je ne saurais expliquer ce phénomène. On peut remarquer, cependant, que le PhD (doctorat) anglo-saxon est très prisé en entreprise. Un chercheur ayant exercé de nombreuses années dans le public trouvera facilement un emploi dans le privé. Cela est beaucoup moins le cas en France (même si cette constatation n’est pas généralisable à tous les domaines).

Aux Etats-Unis, les chercheurs universitaires peuvent être contactés régulièrement par des entreprises pour des missions courtes sur des problèmes spécifiques.

Aux Pays-Bas, les feuilles de route pour la recherche dans le domaine de l’énergie sont souvent préparées. Elles incluent la participation des grandes entreprises du secteur. Cela ne signifie pas que ces dernières dictent l’agenda selon leurs propres intérêts. Cependant, les agences de financement ont à cœur de développer des co-financements publics-privés ainsi que d’accélérer le transfert du laboratoire à l’entreprise. Parallèlement à ces initiatives, des grandes entreprises néerlandaises organisent des événements permettant aux étudiants de découvrir la Recherche & Développement en entreprise.

Un équilibre subtil est à trouver afin de ne pas condamner la recherche fondamentale, qui se prête moins bien à ce genre de partenariats. Mais l’urgence environnementale impose d’utiliser au mieux toutes les compétences disponibles.

Vous dirigez Zenon Research, pourriez-vous nous éclairer sur vos missions et vos champs de recherche ? 


Zenon Research est un think tank qui vise à mettre en évidence les moteurs et les contraintes pour le futur à long terme. Le but est d’aider les décideurs à planifier sur des horizons plus restreints. Nous partons du principe qu’il n’est pas possible de prédire l’avenir. Le mieux que l’on puisse faire est de définir des scénarios et d’étudier leurs probabilités de réalisation. Ainsi, nous essayons de distinguer les scénarios possibles de ceux restant dans le domaine de la science-fiction. Pour ce faire, nous estimons les limites strictes à l’intérieur desquelles les futurs possibles peuvent se réaliser.

Nous produisons également des études originales et pluridisciplinaires sous différents formats. Convaincus que les principaux moteurs de changement sont aussi bien les contraintes que les opportunités, économiques mais aussi technologiques, notre approche combine science et économie, tout en se voulant pragmatique.

Nos champs de recherche sont l’énergie, le spatial, l’intelligence artificielle. Nous étudions également les limites climatiques et énergétiques à l’économie et la faisabilité de scénarios de transition énergétiques.

Nous avons un partenariat avec l’université PSL et Mines ParisTech, qui nous permet des collaborations avec des scientifiques de haut niveau mais aussi la possibilité d’avoir des projets de recherche pour des étudiants.